Papi Mariole

Un avis personnel...

Publié le : 1er avril 2024

Plus le temps passe et plus j’ai un faible pour les comédies. C’est mon côté optimiste qui ressort et me rappelle qu’au final il vaut mieux en rire qu’en pleurer. Et ça tombe bien, le polar francophone regorge de plumes qui abordent avec une certaine forme de légèreté les sujets les plus obscurs. Benoît Philippon fait partie de ceux-là.

Tout commence sur le bord d’une autoroute. Mathilde, une jeune femme, dérive hagarde sur la bande d’arrêt d’urgence, au mépris du danger. Son esprit est ailleurs, au milieu des drames qui l’ont amenée ici.
Mariole dérive de même, pour sa part sur les boulevards des Maréchaux. Il ne sait plus ce qui l’a mené là, il a oublié. Soixante-dix-sept ans, Alzheimer dans la tête, il ne lui reste qu’un soupçon de lucidité. Sans famille pour s’occuper de lui, il se rappelle tout juste, lorsque la lumière brille dans son cerveau percé, qu’il a été tueur à gages et qu’il a un dernier contrat à remplir. Mais lequel ?
Mathilde ne s’aime pas vraiment, elle a fini par se trouver insignifiante avec ses quelques kilos en trop, son boulot alimentaire. Ses envies de jeunesse ont fini par s’effacer sous la gomme du quotidien. Elle préfère penser aux autres qu’à elle-même et c’est à travers une appli qu’elle fait ses rencontres amoureuses. Elle y a connu Boris et entamé avec lui une relation après de longues séances de tchat. Il s’est révélé au fil des rencontres tendre, attentionné, séduisant. Avant de proposer de réaliser une vidéo coquine…

Deux récits menés de front pour l’entame de ce roman : d’un côté Mathilde et sa solitude, sa déprime, ses aventures amoureuses qui viendront bientôt, on s’en doute, expliquer sa dérive autoroutière ; de l’autre monsieur Rochemore — Mariole pour les intimes — qui tente désespérément de s’extraire de son Ehpad, malgré sa mémoire en miette, afin d’honorer son dernier contrat de tueur professionnel.
Ces deux-là sont faits pour se rencontrer. On ne sait ni où, ni quand, ni comment, ni dans quelles circonstances, mais c’est avec confiance qu’on attend l’impact, misant sur l’intelligence ravageuse de Benoît Philippon, son humour et sa fantaisie.

À dire vrai, si la quête d’indices de Mariole, à la poursuite de son passé, offre son comptant de fantaisie, le parcours de Mathilde s’apparente beaucoup plus à une dramatique descente aux enfers. La sex tape dont elle a été la victime, transformée en revenge porn l’a brisée ; tout le monde ou presque lui a tourné le dos. Plus de boulot, plus d’amis ou à peine, plus de parents ; son propre père, qui n’avait jamais cru aux qualités de sa fille, passant son temps à la dénigrer et à saper son peu de confiance, finissant par la renier plutôt que de lui venir en aide.

Dans chacun de ses romans, Benoît Philippon a toujours défendu la cause des femmes dans ses élucubrations fantaisistes. C’est son côté « sérieux ». Il reste ici fidèle à ses engagements à travers le personnage de Mathilde, un temps sacrifiée sur l’autel du patriarcat triomphant, puis renaissant de ses propres cendres en oiseau vengeur. On notera à ce titre le clin d’œil malicieux à l’adresse de Virginie Despentes et sa forme revendiquée d’extrémisme bienfaiteur.
Mais si Mathilde « fonctionne » si bien, c’est qu’elle est associée à Mariole, le papi à la mémoire ravagée, avec ses faux airs de Jean Rochefort. Le duo est un ressort de la comédie et plus ceux qui le compose sont éloignés, leur rencontre improbable, mieux se fait l’alchimie. Le couple créé par Benoît Philippon coche ainsi toutes les cases. Choc de culture, de génération, de genre, tous les ingrédients sont ainsi réunis pour générer les effets comiques qui viendront contrebalancer le propos foncièrement tragique du roman.

Papi Mariole se révèle ainsi à la fois sombre et léger, et prouve que lorsqu’on sait additionner deux tragédies, on peut obtenir une belle histoire d’amitié, tendre et humaine. C’est mathématique : moins par moins, ça fait plus…

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Quelques pistes à explorer, ou pas...

Bien sûr, si vous n’avez pas encore lu Mamie Luger, du même auteur, le détour s’impose. Mais ils sont quelques-uns parmi les polardeux francophones à pratiquer ce genre de comédie grinçante : Sébastien Gendron, par exemple, ou encore Jacky Schwartzmann, pourquoi pas Francis Mizio. La liste est longue…