Albin Michel - Mars 2012
Tags : Thriller Quidam Afrique Années 2000 Plus de 400 pages
Publié le : 23 juin 2012
Août 2003. Le père David est un vieux missionnaire qui vient de fêter ses soixante-huit printemps et dirige l'orphelinat des Petits Frères du Peuple dans le delta du Niger, une région pourrie par l'exploitation du pétrole. C'est là qu'une femme débarque à l'improviste avec un bébé qu'elle présente comme la propre fille de l'ecclésiastique. Naïs…
Trois ans plus tard, l'orphelinat est passé sous la coupe des militaires et regroupe les enfants atteints de maladies rares, des enfants rejetés qu'on qualifie dans la région "d'enfants sorciers". Arrivent deux médecins de MSF pour une mission statistique sur la malnutrition : Benjamin Dufrais et Jacques Rougée. Malheureusement pour eux, c'est là aussi qu'intervient un commando du MEND (Mouvement pour l'Émancipation du Delta du Niger) qui vient spécialement enlever une enfant très convoitée : Naïs… Les deux médecins sont emmenés en tant qu'otages par le commando…
Au début 2010, le premier roman d'Aurélien Molas a fait grand bruit sur la toile tant il a soulevé d'enthousiasme, tout en recevant plusieurs prix littéraires (prix Sang pour Sang polar, prix Raisin Noir, prix Noir de Noir des lycéens, prix Polars Pourpres). On sait comment les blogs et autres sites dédiés aux littératures policières ont parfois tendance à s'enflammer et à encenser de façon exagérée certains auteurs, d'autant qu'avec l'arrivée de ce second roman, la rumeur a recommencé à enfler : attention chef d'œuvre ! Il était temps de se rendre compte par soi même.
Premier constat : on attaque pied au plancher. Pas de perte de temps en présentation (ce qui n'est en aucun cas un reproche), la tempête gronde déjà et on entre de plain pied dans l'aventure dès les premières lignes. Les chapitres sont extrêmement courts — à peine quelques pages ; on en dénombrera au final cent soixante-six — et la technique du "page turner" maîtrisée. Le suspense et le mystère sont également au rendez-vous puisqu'on sait bientôt que la petite Naïs est d'une part très convoitée et, d'autre part, qu'elle détient un secret que l'auteur se garde bien de révéler trop vite.
Mais si Naïs est au cœur du récit, elle n'est pas tout à fait un personnage actif du roman. L'histoire de la fillette, son secret, apparaîtront à la lumière de nombreux protagonistes qui vont construire une narration chorale. Ainsi intervient le père David, missionnaire à tendance communiste ; puis les médecins français Dufrais et Rougée, qui ont roulé leurs bosses aux quatre coins de la misère mondiale ; suivront les membres du MEND, Okah, Umaru, Aduasambi, entre idéologue et mercenaire ; ou encore Megan, jeune infirmière américaine désœuvrée venu en Afrique se rafraîchir les idées…
Les ingrédients sont là, auxquels il faut ajouter un contexte : celui du Nigéria, un des pays les plus peuplés de l'Afrique sub-saharienne, et une région, le Delta du Niger, sacrifiée sur l'autel de l'exploitation pétrolière.
Aurélien Molas évoque la résistance des populations locales aux expropriations, au saccage de l'environnement, d'abord de manière légale et pacifique, au milieu des années deux mille, avant de basculer dans la violence et la clandestinité devant l'apathie du système, sa corruption, et le poids des enjeux économiques. Il y a là un vrai sujet…
Malheureusement, le vrai sujet, c'est Naïs… et son "terrible" secret.
Tous ces personnages vont déambuler à travers le Niger à la poursuite de ces deux-là. À force de circonvolutions, de détours, d'artifices de construction, et malgré toutes tentatives de donner du rythme en hachant le récit, on finit par s'ennuyer. D'autant que le fond de l'intrigue a la saveur d'une chanson composée à l'aide d'un dictionnaire de rimes, la même authenticité falsifiée.
Aurélien Molas est un bon mécano, il connaît ses outils par chœur, il peine cependant à se transformer en inventeur. Et puis s'il tient un environnement, une ambiance, il en rajoute tellement dans le côté thriller millimétré qu'il finit par ôter à son récit toute spontanéité (j'ai oublié de noter en cours de lecture, mais le nombre de fois où le vocabulaire employé touche à l'exagération et à la surenchère est impressionnant, surtout dans le premier tiers). Tout ça sent le texte travaillé dans sa partie rythmique, en délaissant totalement l'harmonie et la mélodie. C'est quasiment cinématographique, taillé en scènes calibrées, prêtes à l'emploi, mais la trame principale étant étirée à l'infini, on s'ennuie un peu à la longue…
Et puis au fond, quid du pétrole dans le delta du Niger si ce n'est quelques volutes noirâtres dans le ciel et des odeurs nauséabondes dans l'air ; quid des Africains qui ne sont, semble-t-il, que cohortes de misère, prostituées ou mercenaires.
En choisissant de coller aux codes du thriller, Aurélien Molas transforme ce qui aurait pu être le sujet de son roman en un "simple" contexte, un décor, malgré tout le soin qu'il a du prendre à parfaire sa documentation. Dommage. On espère une simple erreur de jeunesse.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Si le côté polar "voyageur" et instructif tout en restant palpitant vous intéresse, n'hésitez pas à plonger vers Caryl Férey. Son dernier roman, Mapuche, qui se déroule en Argentine, est un livre à ne pas rater.
Les dix premières lignes...
Les murmures de la forêt s'étaient tus.
Il n'y avait pour seul bruit de fond que le crépitement continu de la pluie sur le toit de l'orphelinat et les cris apeurés des enfants. Le père David s'inquiétait. Debout derrière la fenêtre du premier étage, il contemplait les palmes du dattier fouettant méthodiquement la grande croix en bois. Au-delà, à peine visible dans l'obscurité, la jungle tout entière ondulait au rythme de la tempête (…)
Quatrième de couverture...
Le Delta du Niger, l’enfer sur terre : marées noires dévastatrices, paysans réduits à la famine, guérilleros traqués par des militaires sanguinaires.
Pour les multinationales qui en exploitent l’or noir, une manne. Mais aujourd’hui, elles ont peut-être trouvé mieux que le pétrole… Face à leur cynisme, que pèsent les idéaux de deux médecins humanitaires bien décidés à ne pas les laisser faire ?
L’Afrique et ses fantômes hantent cette odyssée pleine de violence et de fureur. Éloge de l’espoir, fresque épique tout autant que thriller, Les Fantômes du Delta confirme l’incroyable talent d’Aurélien Molas pour instiller dans le suspense cette soif du mal qui ronge les hommes.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...