La Route de Gakona

Un avis personnel...

Publié le : 18 octobre 2009

Gardner Murphy n'est qu'un simple employé municipal qui vit seul, sans famille, au fin fond de la Pennsylvanie, n'égayant ses nuits sans sommeil et sa vie morne que par les quelques contacts anonymes qu'il obtient d'autres radioamateurs. Pourtant, c'est bien lui qu'un matin deux hommes viennent tuer, maquillant leur crime en suicide…
En France, du côté de Nantes, ce sont la femme et le fils d'un paisible retraité qui ne croient pas, malgré les conclusions de la police, à son suicide et font appel à une société d'enquêteurs privés. Ainsi entre en scène Kinscoff (déjà croisé dans La Position de Missionnaire) qui, alors que son amie vient de partir pour deux mois au Cambodge, a grand besoin de se changer les idées et accepte de rencontrer la veuve et l'orphelin…

Parallèlement, à Washington, se tient une réunion secrète rassemblant industriels et militaires :

La guerre a déjà coûté trois mille milliards de dollars, le Pentagone veut accroître son effort en Afghanistan mais n'en a pas les moyens. Le peuple américain refusera les pertes en vies humaines et ne soutiendra plus ces conflits. Notre gouvernement doit trouver d'autres moyens de poursuivre ses interventions militaires, moins coûteux en vies humaines et en dollars. Ces moyens restent à inventer…

Tous ces nouveaux projets se doivent d'aboutir avant la fin du mandat du président Bush ; l'avenir des budgets n'étant pas assuré avec l'élection de son successeur. L'un d'eux, particulièrement avancé, entre dans sa phase finale. Reste à organiser un test en vraie grandeur avant de lancer l'assaut, avec la Chine en ligne de mire, le nouvel ennemi économique et militaire des États-Unis. Un certain Shramm est le garde chiourme de ce projet aux moyens considérables baptisé HAARP. Compte tenu de son envergure, les services secrets américains sont tenus d'informer, à la marge, leurs homologues les plus proches : anglais, allemands et français. En France, leur correspondant se fait appeler Tiez. C'est lui qui envoie son homme de main, Melchior, surveiller cet enquêteur qui s'intéresse de trop près au suicide d'un retraité nantais…

J'imagine que ça vous est déjà arrivé de lever le nez vers le ciel. N'avez-vous jamais remarqué que les avions — au moins les plus gros, les plus hauts — laissaient des traces derrière eux ? Parfois, ces nuages disparaissent quelques secondes après que l'appareil se soit éloigné, parfois ils persistent alors que ce dernier n'est plus visible depuis longtemps. On parle alors de chemtrails… de traces chimiques…
Et l'électricité, ça vous dit ? Tesla… Nikola Tesla… vous connaissez ? Oui, forcément ! L'inventeur du courant alternatif, celui qui vous chatouille quand vous glissez les doigts dans la prise. Un inventeur de génie qui avait le projet de capter l'énergie de l'atmosphère terrestre pour la redistribuer gratuitement — on comprend mieux qu'il soit aujourd'hui un peu oublié — l'homme aux sept cents brevets déposés (dont un certain nombre attribués à son concurrent direct, Edison)…
Et le dispositif Echelon, mis en place dès les années soixante par la NSA, ça vous parle ? La surveillance à grande échelle ? Les appels téléphoniques… les mails… les fax… en gros tous les échanges électroniques… Non ?
Il va vous falloir lire La Route de Gakona alors.

Et dès lors que vous aurez commencé à y mettre le nez, vous ne pourrez plus en sortir. Dès l'entame, vous être pris, capté, immergé dans le vif du sujet, dans une ambiance où se croisent le secret et le pouvoir. On pourrait presque se croire dans un roman d'espionnage, par le rythme, la tension, mais il n'en est rien. La réalité est plus proche qu'il n'y parait.
Jean-Paul Jody est un homme extrêmement précis, informé et documenté. À partir de faits réels, avérés — demandez à votre moteur de recherche favori ce qu'il pense de HAARP, vous comprendrez — il va construire un récit particulièrement haletant, prenant, nous reversant toute l'information qu'il a accumulée. Attention, pas de professoralisme, pas de cours magistral, mais le support d'une intrigue et d'une construction parfaitement maîtrisées qui vous font pénétrer, petit à petit, au cœur de ces projets secrets qui semblent devoir bientôt nous gouverner.
La quatrième de couverture du roman évoque « un thriller vertigineux ». Pas sûr que l'étiquette soit bien choisie. Bien sûr il s'agit d'une traque, et Kinscoff aura à ses trousses des tueurs aux plus mauvaises intentions, mais ce serait réduire ce travail que le confiner seulement à sa forme ; son plus grand intérêt résidant bien évidemment dans les interrogations qu'il soulève, les faits qu'il éclaire.
Jean-Paul Jody est un auteur intelligent qui rend son lecteur intelligent, un passeur. Son écriture est limpide et sa faculté à transmettre impressionnante. Réussir à rendre intelligible des concepts tels que « le capitalisme du désastre » était une gageure dont il se sort avec brio :

En gros, les ultralibéraux utilisent les crises brutales et destructrices comme opportunités pour imposer à des masses traumatisées des réformes impopulaires qui ne passeraient pas si ces gens étaient en pleine possession de leurs moyens.

Dès lors, le premier parvenant à maîtriser, voire déclencher, ces « crises brutales » en leur donnant la forme de catastrophes naturelles aura tout "gagné". Telle est, selon La Route de Gakona, la finalité du projet HAARP.

Un roman angoissant par ce qu'il met en lumière, offrant de multiples pistes de recherche et de réflexion, mais aussi enthousiasmant par sa forme. Jean-Paul Jody est un auteur qui sait raconter les histoires. Bigrement bien, même !
Quant aux annexes, elles font carrément froid dans le dos !

Vous avez aimé...

Quelques pistes à explorer, ou pas...

A noter que depuis la parution de son roman, Jean-Paul Jody a ouvert un blog qui reprend et développe les informations qu'il y dévoile. Une manière, si je puis dire, de prolonger le "plaisir"...

Kinscoff et son partenaire Stéphane de Sate sont apparus pour la première fois dans La Position du Missionnaire.

Par sa construction, son approche, Jean-Paul Jody m'a fait penser à la démarche de Jean-Hugues Oppel dans des romans comme Chaton : Trilogie ou French Tabloïds même s'ils penchent plus du côté de la fiction.