Fayard - Septembre 2008
Tags : Roman noir Polar social Trafic Psychologie Quidam Londres Années 1990 Entre 250 et 400 pages
Publié le : 20 décembre 2008
Doïna est une jeune fille roumaine qui voit un jour sur la route qui borde son village, plus habituée aux charrettes tirées par des bœufs qu'aux automobiles, s'arrêter une longue Mercedex blanche et en descendre un tout jeune homme qui la prend en photo, elle et ses amies…
C'est le début d'un rêve, l'élément déclencheur : échapper à la misère, quitter la Roumanie. Un rêve qui se poursuivra dans les cybercafés en correspondances plaines d'espoir, puis finira par se réaliser.
Six semaines que Doïna est arrivée à Londres. On l'a rebaptisée Bienca, et elle est aux mains d'un Albanais particulièrement féroce, Agron, qui est en passe de la vendre, purement et simplement, pour trois mille livres…
Parallèlement, toujours à Londres, Gilbers Woodbrooke est en plaine déprime. Photographe spécialisé dans le bondage et jouissant d'une petite célébrité au Japon, il se morfond dans son appartement, s'adonnant au seul plaisir qu'il lui reste, le solitaire. Sa situation n'est guère enviable : il sort d'un grave accident qui le laisse une jambe dans le plâtre et sans possibilité de travailler ; sa femme l'a quitté et demande le divorce ; sa banque lui réclame des comptes…
Aussi, lorsque l'éditeur anglais d'une jeune auteure japonaise en tournée de promotion lui propose d'assurer l'interprétariat, il accepte le job.
Troisième facette du prisme, Duncan Piermont. Lui est une star de l'art contemporain, un rien provocateur, qui disserte sur le rapport de l'art à la mort, selon lui essentiel. Il est interviewé en radio par Amanda, la sœur de Gilbert Woodbrooke, qui est fascinée par le personnage et finit par céder à ses avances. La star est un peu tordue et pratique une sexualité aussi torturée que ses œuvres…
Lolita Complex… Rarement titre aura été si bien trouvé pour englober, résumer et définir le roman qu'il annonce.
Une des premières choses qui apparaît à la lecture, c'est qu'il plane comme une odeur de sexe que ce récit, quels que soient les personnages croisés : sexe consenti, solitaire, extorqué, fantasmé, détourné, mais sexe toujours. Comme un moteur.
Deux grandes parallèles se dessinent. Il y a d'un côté le sexe brut associé au drame vécu par Doïna, baladée contre son gré sur le marché européen de la prostitution, cornaquée par les pires maquereaux, Albanais, et dont l'itinéraire est retracé depuis sa Roumanie natale jusqu'à Londres où elle a échoué, jeune fille en fleur offerte aux appétits violents, sauvages, des mâles anglais.
De l'autre côté, un sexe beaucoup plus ambigu. Woodbrooke et son travail de photographe :
« L'art militaire — mon petit concept perso, mes fantaisies érotico-artistiques adolescentes, mes prisonnières de guerre juvéniles aux yeux bridés, poupées nippones tuméfiées et à l'uniforme an lambeaux… cette esthétique masturbatoire et politiquement des plus incorrectes (…) »
Duncan Piermont aussi, l'homme de l'art, la star, le cabot, et sa sexualité débridée, en recherche, qui l'amène vers la violence.
Au cœur, entre ces deux parallèles, des femmes, victimes, sous une forme ou sous une autre, consentantes ou pas.
Romain Slocombe nous interroge, s'interroge lui-même semble-t-il à travers ce double que représente Gilbert Woodbrooke. Cette démarche artistique innocente qui offre le fantasme sous forme de mise en scène photographique joue sur la même pulsion qui génère le trafic des jeunes femmes venue de l'est de l'Europe et soumises à la prostitution. D'une certaine manière, la clientèle finale est la même.
Woodbrooke et Doïna ne se rencontreront pas. Romain Slocombe croise les différents pans de son intrigue (si l'on peur parler d'intrigue) de manière surprenante, toujours inattendue, et surtout comme si ça n'avait aucune importance, comme si l'intrigue, justement, était le cadet de ses soucis d'auteur. Pour autant, il ne s'agit absolument pas d'un récit décousu, bien au contraire, mais attendez-vous à une construction surprenante et originale.
Romain Slocombe joue admirablement sur le contraste entre le calvaire de Doïna et la nonchalance, le détachement, une forme de légèreté associées à Woodbrooke.
Ce sont les ambiances croisées qui sont mises en avant, avec cette culture japonaise, omniprésente (comme ces semblants d'haïkus qui embellissent chaque tête de chapitre), et le personnage d'Emiko Yuki — la jeune romancière — symbole de son ambiguïté.
S'il met en avant le drame vécu par ces jeunes femmes qui viennent alimenter les réseaux de prostitution européens, rappelant en fin de roman par quelques chiffres que ce trafic génère plus de revenus de celui de la drogue (!), Lolita Complex se révèle un roman particulièrement dense (quelques surprises vous y attendent encore…), sophistiqué, et d'une grande sensibilité. Romain Slocombe y égratigne d'une belle plume les milieux de l'art, le système néo-libéral à la Tony Blair, et touche au cœur par son authenticité.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Je dois avouer qu'avant d'entamer Lolita Complex je n'avais jamais lu Romain Slocombe. J'y ai appris que Gilbert Woodbrooke était au cœur de ses romans en tant que personnage récurrent et qu'avant cette trilogie naissante intitulée L'Océan de la Stérilité (il s'agit ici du premier volet), était parue sa tétralogie japonaise dont il convient sans doute de se rapprocher.
Les dix premières lignes...
Un jour…
La Mercedes blanche s'est arrêtée sur la route des monastères…
… J'ai dix ans. Six mois de moins que Ligia, ma meilleure amie. Elle est là, en tablier, les cheveux courts, parmi les autres gosses plus jeunes que nous. Tous ensemble, une douzaine de mômes du bourg, nous jouons à courir en criant dans la clairière, de l'autre côté du pont de bois qui enjambe le ruisseau. Au-delà du pont, la route du Suceava traverse les collines (…)
Quatrième de couverture...
Fauché, dépressif et divorcé, le photographe gaffeur Gilbert Woodbrooke végète au bord du suicide lorsqu’un job inespéré lui tombe du ciel : interprète pour Emiko Yûki, une romancière japonaise de dix-neuf ans, en voyage promotionnel à Londres. Tout irait bien si leur route ne croisait celles d’une petite Roumaine prostituée par les gangs albanais et d’un célèbre « Young British Artist » complètement déjanté, obsédé par les momies égyptiennes et le crime élevé au rang des Beaux-Arts…
Hommage au film fantastique britannique, satire des milieux de l’art contemporain et attaque violente contre le néo-libéralisme à la Tony Blair, Lolita Complex met en lumière la fascination érotique actuelle pour la femme-enfant en illustrant notamment une de ses dérives : l’esclavage moderne de jeunes adolescentes importées de l’Est et le traitement infligé à ces enfants devenues prostituées.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...