Flandre Noire

Gilles Warembourg

Ravet-Anceau - Janvier 2008

Tags :  Roman noir Quidam France Années 1940 Littéraire Moins de 250 pages

Edition originale

Un avis personnel...

Publié le : 29 août 2008

Recommandé Après trois années passées au block 10 du camp d'Auschwitz-Birkenau, Georges Liévin, instituteur déporté pour sympathie communiste, revient dans son village, Neu-Cappel, dans les Flandres.
De sa déportation, de ce qu'il a pu voir — le block 10 était de ceux réservés au docteur Mengele et à ses expériences — Georges revient cassé, meurtri, détruit, ébranlé dans ses convictions humanistes, et l'accueil qu'il reçoit de ses concitoyens lui paraît déplacé.

J'étais détruit, endeuillé de ces valeurs auxquelles j'avais consacré ma vie. Pilonnées dans l'enfer du camp, elles m'apparaissaient aussi incongrues qu'un bouquet de gaillardes fleurissant sur une décharge. L'été radieux de Flandre n'éclairait plus que l'impudence des visages et le néant de mes certitudes… jusqu'à vider de leur contenu les centaines de traités tapissant mes murs. Jadis, je veillais sur eux avec une jalousie propre aux vieux enseignants ; désormais la suie dispersée par la guerre les recouvrait.
Valeur des tortionnaires poussées à leur paroxysme, l'éducation, la solidarité, le travail me paraissaient autant d'impostures.

Georges s'enferme dans le silence, la réflexion. L'indicible ne peut être décrit, et puis la population locale découvre à peine la réalité des camps, leur fonction première, peinant à en appréhender toute l'horreur ; on parle toujours de camps de travail, de prisonniers. Seul, peut-être, Jean, un de ses anciens élèves devenu un ami, qu'il retrouve rendu infirme par ses faits de résistance, que sa femme a quitté et qui noie son désespoir dans l'alcool, est-il susceptible d'entendre Georges.
Les deux hommes engagent une profonde réflexion sur le bien et le mal :

— C'est étrange, Jean, nos étagères sont remplies de livres magnifiques, des millions de mots, de traités définitifs, des essais hardis, des encyclopédies… je les ai accumulés, je les ai lus, récités… Ma bibliothèque était devenue une fortification humaniste. Maintenant, qu'en reste-t-il ? Franchement, dis-moi à quoi ils ont servi ? Tu as déjà vu des bouquins arrêter des barbares ? Ils en font des autodafés ! Oui, Jean, inutiles ! Inutiles, je te dis… parce que ridiculement inoffensifs.
(…)
— C'est vrai, Jean… Je voudrais comprendre ce qui s'est passé. Comprendre, juste pour accepter… voilà tout…

Au village, la vie continue. Si Georges revient avec la vision du mal absolu et en cherche une explication, il retrouve là le mal ordinaire, les rancœurs, les jalousies, la symphonie du pouvoir que se jouent ses concitoyens — « C'est donc ça la paix ? Rien que la haine qui chuchote ? ». Quelques semaines après son retour, la Richarde, grosse propriétaire terrienne locale, aussi crainte que méprisée par ses congénères, soupçonnée de s'être enrichie avec la guerre, est retrouvée morte dans son étable…

Flandre Noire n'est pas d'une lecture légère. Il y a tout au long des pages de ce roman, une exceptionnelle intensité qui transpire des mots, une implication palpable de l'auteur dans la réflexion profonde qu'il mène en compagnie de son personnage. Il est ici question de bien, mais essentiellement du mal. Du mal absolu — celui généré dans les camps —, du mal ordinaire — celui qu'il perçoit à son retour au village —, de leurs raisons d'être. Gilles Warembourg, comme Georges Liévin, ne cherche pas les coupables — d'ailleurs existent-ils vraiment ? — il tente d'expliquer le pourquoi de ce déferlement, et de comprendre ou de répondre à cette question primordiale : « Le mal est-il inscrit dans le cœur des hommes ? »
Georges et son ami Jean convoquent dans ce sens les philosophes, voire les religions. Toutes et tous seront passés au crible : Rousseau, Voltaire, Kant, Lao Tseu, Bouddha, Epicure, Socrate, Shopenhauer, Diderot, Leibnitz, Spinoza, Nietzsche, Montaigne, Pascal… dans un seul but : comprendre, et peut-être déterminer leur "utilité" à tous.

L'intrigue policière, bien que secondaire face à cette réflexion philosophique, vient néanmoins éclairer quelques réactions face au mal. Georges sera impliqué, soupçonné même…
Il n'y a pas que la Flandre qui soit noire dans ce roman ; c'est un peu toute l'humanité qui en porte la couleur, même si chez l'humaniste et au fond de son cœur meurtri, une faible étincelle d'espoir demeure :

Haïr est une renonciation à comprendre, comme croire est une abdication de l'intelligence.

Écrit dans un style aussi rigoureux que précis, Flandre Noire est un roman que l'on repose doucement après l'avoir terminé, qu'on hésite à remiser trop vite sur un rayon de bibliothèque, sachant bien qu'on l'ouvrira bientôt encore, pour ne pas l'oublier.


Vous avez aimé...

Quelques pistes à explorer, ou pas...

Flandre Noire a été sélectionné pour recevoir le Grand Prix de littérature policière 2008.
Les résultats ne sont pas encore tombés, mais c'est sans aucun doute un choix judicieux…

Le début...

Les dix premières lignes...

Juin 1945, quelques semaines après la capitulation du Troisième Reich.
Revenant de trois ans de tourisme en enfer, j'avais vécu un interminable périple à travers l'Europe — camion, avion sanitaire, train —, et parcouru la Pologne, l'Allemagne, puis la Belgique. Le cœur rempli d'émotions contradictoires, j'avais retrouvé l'horizon bosselé des mamelons lointains ébauchés par les monts de Flandre. Devant la gare d'Hazebrouck, une ambulance attendait pour me ramener à Neu-Cappel (…)


La fin...

Quatrième de couverture...

Juin 1945. Après trois années passées en déportation, monsieur Georges, l’instituteur, revient au village. Habité des visions d'Auschwitz-Birkenau, l'humaniste qu'il était a vu toutes ses valeurs s'envoler dans le ciel de Pologne. La paix de la campagne flamande n'est pour lui qu'un silence compassé où flotte encore le mal radical.
Les événements lui donneront raison : un crime parfait est commis dans la petite communauté rurale, parfait parce que rendu impossible par la présence de l'intraitable molosse de la victime. La quête philosophique se double d'une investigation policière…


L'auteur(e)...

Sa trombine... et sa bio en lien...

Gilles Warembourg










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