Pocket - Juin 1992 - Traduction (anglais) : Jean Esch
Publié le : 1er mars 2006
Il est des romans, des petits objets de 200 pages qui peuvent faire
basculer un pays dans une guerre civile verbale, où les censeurs
montent sur leurs grands chevaux et où l'auteur fautif d'avoir commis
une œuvre sulfureuse est obligé de s'expatrier quand des menaces de
mort risquent d'être mis à exécution par des cinglés. Ça vous rappelle
quelque chose ? La fatwa sur les Versets Sataniques de
Salman Rushdie ? Eh bien non. Il est bien question de l'Angleterre,
mais l'auteur en question est une femme, une jeune femme, Helen Zahavi
qui signe son premier roman, un roman noir comme un diamant noir, à
rendre grises et bien pâlottes toutes les productions littéraires des
Reines du Crime. Nous sommes en 1991 et le Parlement demande
l'interdiction de Dirty Week-End pour cause d'immoralisme.
Ce qui dérange dans l'histoire de Bella, c'est sa perte totale d'émotions,
de sentiments envers autrui comme envers elle-même. De jeune fille
anonyme dans la ville de Brighton elle est devenue machine à tuer, une
mécanique animale, à l'instar du héros de American Psycho de Bret Easton Ellis ou de celui du Démon de Hubert Selby Jr.
Avec le premier, elle aura la même faculté d'agir sans plus aucune notion de
bien et de mal, possédée par un esprit de vengeance purement abstrait.
Ses victimes ne sont plus considérées comme des individus, mais comme
éléments d'un ensemble qui représenterait l'homme, le sexe masculin, en
général. Par contre, elle partagera avec le héros de Hubert Selby Jr.
la conscience de se voir peu à peu remplir par une sorte de pensée qui
ne lui appartient pas. Elle sait ce qu'elle est, elle sait ce qu'elle
devient et poursuit malgré tout. Si le destin veut l'arrêter, il
l'arrêtera.
C'est après les hommes qu'elle en a. Le fait d'être femme d'abord, sexe faible dans une société machiste, ajouté à une personnalité médiocre, attire les profiteurs, les dragueurs à la petite semaine, les obsédés, les pervers qui cherchent des proies faciles, sans défense, sans personne pour leur porter
secours. Bella est l'idéale victime. Elle vit seule dans un entresol et
se désespère d'être seule. Sa naïveté du départ l'encourage à voir un
prince charmant dans tout mâle qui l'entreprendrait avec un minimum de
convenances. Elle veut du romantisme, et c'est normal, elle n'a le
droit qu'à la bêtise, la brutalité, le vice. Il ne lui reste donc plus
qu'à passer à l'acte, comme de toute manière de l'aide il n'y en a pas.
La société ne lui prête pas le moindre regard. Que la société continue
donc à détourner la tête, pour cette fois ne pas se pencher sur ce que
Bella entreprend de faire.
Commencent les exécutions. Tranquillement, pourrait-on dire. Bella assassine ses prétendants comme elle prépare ses repas ou fait le ménage. C'est une
tâche ménagère de plus. C'est une nécessité. Il faut éradiquer la gent
masculine comme on combat la poussière au plumeau sur les meubles. Un
travail de routine. Comme il s'agit d'un roman, et non d'une thèse sur
le féminisme poussé à l'extrême, tout n'est pas aussi simple que la
liste des commissions. Par exemple, Bella, la tueuse de vilains
messieurs, va croiser sur sa route un de ses frères d'armes, le salaud
par excellence, un tueur de femmes, un minable serial killer comme
l'Angleterre sait si bien les fabriquer.
Le livre a choqué outre-manche. Inacceptable qu'une jeune femme puisse se
rebeller et donner un tel exemple négatif de la féminité, hors du champ
bien limité du roman policier classique, alors que dans tout le reste
de la littérature les hommes ne se gênent pas pour massacrer les
pauvres filles innocentes. Le shocking ultime réside sans doute dans
les réflexions même de Bella qui émaillent le récit :
Parfois, il vous vient des pensées, mais vous ne les formulez pas. Ce sont des pensées si horribles que vous ne pouvez même pas croire qu'elles viennent de vous. Vous croyez que personne d'autre ne peut avoir de telles pensées, alors vous les gardez pour vous. Vous conservez vos pensées ignobles dans un coin de votre tête, en un petit tas d'excréments méditatifs.
Il ne vous étonnera pas que Dirty Week End passe pour un classique absolu du genre noir. Toutefois, conseil aux âmes sensibles qui n'apprécient que les gros frissons, les grands carnages abracadabrants, la barbaque étalée sur les tables des médecins légistes : ce livre va véritablement vous déprimer. Après lecture, lorsqu'un nouveau polar viendra vous faire du pied pour que vous le preniez au lit avec vous, il a de fortes chances de vous entendre lui répondre :
plus tard, chéri, car ce soir j'ai vraiment mal à la tête.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Helen Zahavi a récidivé depuis, ajoutant de la causticité et de l'humour noir dans son œuvre. Son deuxième roman a été porté à l'écran et est devenu à son tour un film culte, True Romance . Le troisième roman traduit en français s'intitule Donna et le Gros Dégoûtant et il est tout aussi jouissif, dans une veine à la Tarentino où dialogues déjantés et amoralisme font bon ménage. Tout le contraire de Dirty Week End qui va vous plomber votre week-end.
Les dix premières lignes...
Voici l'histoire de Bella qui se réveilla un matin et s'aperçut qu'elle n'en pouvait plus.
Bella n'a rien de particulier. L'Angleterre est pleine de gens blessés. Qui
étouffent en silence. Qui hurlent à voix basse pour ne pas être
entendus des voisins. Vous les avez sans doute vus. Vous les avez
probablement croisés. Vous leur avez certainement marché dessus. Trop
de gens n'en peuvent plus. Ce n'est pas nouveau. Seule compte la façon
dont vous réagissez.
Bella aurait pu avoir une réaction décente. Elle aurait pu réagir comme les gens décents. Elle aurait pu remplir son petit ventre rond de barbituriques, ou bien se jeter, avec une belle désinvolture, du haut d'une tour. Les gens
auraient trouvé cela triste, mais pas inconvenant. Ah, pauvre Bella,
auraient-ils soupiré en jetant ses restes dans la terre à l'aide d'une
pelle. Sans doute n'en pouvait-elle plus, auraient-ils dit. Au moins
avait-elle eu la décence de réagir avec décence.
Quatrième de couverture...
Un beau jour, Bella en eut marre, marre de toujours être la victime,
marre de toujours avoir peur, marre des désirs des mecs... Elle se mit
à les tuer... D'abord ce voisin vicieux qui la persécutait, puis un
autre, rencontré par hasard, et qui aurait bien aimé la plier à ses
caprices... Et cela lui a fait tant de bien, cela l'a tant soulagée,
qu'elle se demande pourquoi elle a attendu si longtemps... Et réclame
pour les femmes le droit à la violence aveugle.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...