Ceux qui Méritent de Mourir

Carlos Salem

Actes Sud - Mai 2024 - Traduction (espagnol) : Judith Vernant

Tags :  Roman d'enquête Comédie Serial Killer Mystique Flic Espagne Années 2010 Entre 250 et 400 pages

Edition originale

Un avis personnel...

Publié le : 05 juin 2024

Recommandé « Mon nom est Personne » sont les derniers mots qu’aura entendus Rogelio Calzado, banquier richissime sortant de sa douche, avant que celui qui les a prononcés lui glisse une pièce de deux euros dans la bouche et lui plante un tournevis dans le cou.

Cet assassinat n’est pas le premier du genre. Trois autres ont déjà eu lieu selon le même protocole, visant à chaque fois des criminels passés entre les mailles du filet de la justice, mais c’est la première fois qu’une personnalité est visée. Toutes les victimes ont eu le visage enturbanné de film plastique, comme pour les effacer.
Avant qu’elle ne s’ébruite, l’affaire remonte jusqu’aux oreilles du président fantoche. Il est question de mettre sur pied une brigade spéciale pour endiguer l’hémorragie.

À sa tête Severo Justo, commissaire général détaché à Bruxelles pour son extrême intransigeance, ancien curé, défroqué par l’amour d’une belle, malheureusement fauchée, ainsi que leur fille, par un chauffard, vingt ans plus tôt. Un homme de devoir, brisé, mais qui sait s’entourer.
À ses côtés, une vraie équipe de choc : une psychiatre schizophrène (Dalia Fierro), un commissaire aux méthodes musclées et expéditives (Francisco Bermúdez), un autre, arriviste et menteur pour gérer les médias (Pablo Acuna), un jeune inspecteur pour coordonner le terrain (Jorge Frontela), un hacker de génie pour la technique (@grafuwol, qui n’est autre que la grand-mère de Frontela), et enfin un légiste discutant avec les morts, disons capable de les faire parler (Caronte Garcia).

— Pourquoi cet acharnement à vouloir effacer les ravages de la mort sur les corps ?
Le petit homme le regarde comme s’il était fou.
— La mort ? La mort n’a rien à voir là-dedans, Justo. Je ne fais qu’essayer de réparer les saloperies que leur a faites la vie.

Nous voilà donc avec un tueur en série des plus machiavélique, et face à lui une équipe d’enquête constituée d’individualités aux profils rebattus par les thrillers de type « tête de gondole » : un flic meurtri par son passé, une profileuse, un légiste un peu barré, un flic gros dur à l’ancienne, un autre bouffé d’ambition, enfin un hacker de génie. La recette du page turner mainte fois ressassée pourrait-on penser…
Mais ce serait oublier que le maestro Carlos Salem est aux commandes, et qu’il prend un malin plaisir à se jouer de tous ces clichés pour rebattre les cartes d’un jeu beaucoup plus sophistiqué.

À en croire les dates qui figurent à la toute fin du texte, il lui aura fallu cinq années (2015-2020) pour peaufiner cette aventure foisonnante, auxquelles on peut ajouter les quatre suivantes qui nous séparent de la traduction française de Judith Vernant et de la parution. C’est long… mais c’est bon.
Carlos Salem, l’écrivain le plus espagnol de tous les auteurs argentins, auréolé de toute la fantaisie baroque qu’on lui connaît et dont s’échappe toujours un léger parfum de spiritualité, au sens religieux aussi bien qu’intellectuel (on se retrouve quand même avec un assassin qui se prend pour dieu et un enquêteur qui n’est pas loin d’être un saint) s’empare donc à sa manière du mythe « thrilleristique » du serial killer bien tordu poursuivi par une équipe d’enquêteurs chevronnés et tenaces. Tout en en respectant scrupuleusement les codes, il ne peut cependant pas s’empêcher les pas de côtés et les détournements pour nous offrir un spectacle des plus réjouissant.

Severo Justo, enquêteur en chef, est un personnage profondément attachant, pétri de valeurs morales qu’il entend bien respecter à la lettre, mais aussi rongé par une culpabilité qu’il traîne comme un boulet depuis que sa femme et sa fille ont été fauchées par un chauffard jamais retrouvé ; un élément que le tueur intégrera magistralement à son scénario macabre et qui apporte, au moins aux yeux des femmes qu’il croise, une certaine sensualité au commissaire.
Tout se tient chez Carlos Salem, rien ne se fait au hasard. Et si, par exemple, les représentants de la police scientifique apparaissent quelque peu « décalés » avec une hackeuse octogénaire, un légiste qui habille les morts pour mieux les faire parler ou une psychiatre aux personnalités multiples qui cohabitent tant bien que mal dans son esprit, il n’en demeure pas moins qu’ils obtiennent des résultats et que l’enquête avance.
Malgré toute la fantaisie de l’auteur, l’intrigue reste millimétrée et son dénouement infaillible.
D’autant plus lorsqu’il se permet de plonger son héros dans des abîmes de perplexité, interrogeant ses valeurs et le confrontant à ses propres envies de vengeance. Ceux qui enfreignent les lois, écrites ou non, ceux qui commettent les pires crimes en toute impunité, méritent-ils le jugement dernier. Et Dieu dans tout ça ?


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Quelques pistes à explorer, ou pas...

Il se pourrait que La Brigade des Apôtres reviennent bientôt sur le devant de la scène si l’on en croit les dernières pages du présent roman. On espère juste que notre patience ne sera pas trop mise à rude épreuve…
Sinon, dans la bibliographie de cet auteur atypique, j’ai une faiblesse pour ses débuts et notamment Nager sans se Mouiller. Irrésistible.

Le début...

Les dix premières lignes...

— My tailor is rich, répète Rogelio Calzado, enveloppé dans une serviette éponge de couleur blanche.
La vapeur flotte dans l’immense salle de bains comme une brume légère. Rogelio se dit, comme chaque fois qu’il a le temps de prendre une longue douche sans être dérangé, que cette salle de bains serait assez grande pour faire un foot à cinq, comme quand il était gosse, là-bas, à Oviedo.
En réalité, quand il était gosse, il n’avait pas le temps de jouer au foot car il fallait travailler. De toute façon, aucune équipe ne le choisissait jamais, parce qu’il était tout petit et pas foutu de taper dans le ballon.
« T’es né avec deux pieds gauches, microbe », se moquaient les autres enfants, à commencer par ce con de Miranda, avec sa carrure qui faisait soupirer les gamines du quartier, les mêmes qui n’accordaient pas un regard à Rogelio.
Comme toujours quand ces souvenirs refont surface, Rogelio passe en revue la vie de ces petits péteux. Aucun d’eux n’a accompli quoi que ce soit. Miranda comme les autres. Il a fini par descendre à la mine et pointe au chômage depuis plus de dix ans (…)


La fin...

Quatrième de couverture...

« Mon nom est Personne ». Tels sont les mots retrouvés sur chacune des victimes d’un redoutable tueur en série qui sévit en Espagne. Selon lui, ses proies auraient mérité leur sort, ayant échappé à la justice grâce aux failles du système. Son mode opératoire est particulier : il enveloppe le visage des morts dans du film alimentaire, comme pour effacer leurs traits. Pour arrêter « Personne », la police se tourne vers Severo Justo, policier et ex-prêtre accablé par un deuil insurmontable, qui a décidé que cette affaire serait sa dernière avant de se suicider. Severo réunit une équipe hétéroclite composée d’une psychiatre schizophrène, d’un hacker octogénaire et d’un légiste qui sait communiquer avec les morts. Mais l’assassin est obsédé par le passé de Justo et l’attire dans ses plans sordides. Le compte à rebours est enclenché, chaque seconde rapprochant l’ancien prêtre de son ultime destinée. Personne n’est à l’abri de personne.


L'auteur(e)...

Sa trombine... et sa bio en lien...

Carlos Salem










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Bibliographie non exhaustive... Seuls sont indiqués ici les ouvrages chroniqués sur le site.

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