Seuil Policiers - Février 2012 - Traduction (afrikaans) : Marin Dorst
Tags : Roman d'enquête Espionnage Polar politique Crime organisé Complot Service secret Quidam Afrique du Sud Années 2000 Plus de 400 pages
Publié le : 18 février 2012
Août 2009, au Cap. Les services secrets sud-africains sont sur les dents : un de leurs agents infiltré dans un groupuscule islamiste vient d'être repéré au moment où après plusieurs années de "somnolence" il semble que l'agitation gagne ; flux d'échanges en progression ; rumeur de livraison d'armes ; d'action terroriste locale. Pour Janina Mentz, la directrice, il est urgent de trouver un moyen pour remplacer Ismail Mohammed.
Milla Strachan vient de s'installer au Cap après avoir quitté précipitamment son mari Christo et leur fils ; elle n'en pouvait plus de cette vie recluse au service de la famille, sans aucune considération. La quarantaine, il lui faut trouver rapidement un boulot, ce qu'elle fait en faisant valoir ses lointaines études de journaliste. Mais en vingt ans, le métier a changé, le numérique est passé par là, et Milla n'est pas à la page. Elle finit tout de même par décrocher un entretient, puis un poste. Bientôt, elle apprendra qu'elle vient de prendre pied dans une agence de renseignement gouvernementale, chargée de rédiger des notes de synthèse à partir de ses collectes d'information. Un travail de petite main dans l'agence dirigée par Janina Mentz…
Dès l'entame, Deon Meyer pose une chronologie stricte sur son récit, tout en multipliant les apparitions de personnages, les modes narratifs, créant d'emblée un climat de tension, palpable, alors qu'on ne sait pas encore de quoi il retourne. En quelques pages, voire en quelques phrases, il vous prend la main et vous envoie valser au cœur d'une intrigue au long cours.
À la Trace, ce sont quasiment trois romans en un, trois personnages principaux, trois narrateurs, trois intrigues, trois sujets de fond, qui finiront par se croiser, ou plutôt s'effleurer, subrepticement.
La première partie est consacrée à Milla, femme sud-africaine en quête d'identité qui après avoir vécu quelques dizaines d'années au service du modèle familial se décide enfin à recouvrer la liberté, s'émancipant de la tutelle de son mari et de l'égoïsme de son fils. Derrière Milla apparaît très vite un contexte politique, geo-politique, qui met en scène les services secrets, les luttes au sein de l'appareil de l'État, l'implication de l'Afrique du Sud dans les marchés d'armement, mais aussi sa position stratégique qui en fait une plateforme "arrière" pour les groupements terroristes islamistes. Deon Meyer maîtrise son sujet et tout en restant précis et documenté, il réussit de ne pas nous assommer de données techniques trop indigestes, alliant avec brio la lutte personnelle de Milla et celle de son entourage professionnel qui s'inquiète de l'arrivée prochaine de l'équipe de football américaine venue inaugurer le stade qui recevra bientôt la coupe du monde.
La seconde partie du roman voit revenir au premier plan le personnage principal de Lemmer, l'Invisible. Lemmer, garde du corps en sursis, dont la principale règle de vie est : tu ne t'impliqueras point. Il s'est installé avec Emma (sa cliente dans une précédente aventure) à Loxton, loin de la grande ville, et retape sa maison en tentant de s'intégrer au paysage et à la population locale. Il est bientôt contacté par un éleveur qui souhaite rapatrier depuis le Zimbabwe un couple de rhinocéros noirs, espèce en voie de disparition, pour les installer dans le parc du Karoo qui jouxte sa propriété. La situation du pays voisin est plus que malsaine pour ces animaux, traqués pour la valeur soi-disant aphrodisiaque de leur corne, mais c'est un trajet de mille cinq cents kilomètres en camion qui les attend avant de fouler à nouveau de bush. Un parcours semé d'embûches…
Au-delà du trafic des animaux sauvages, au-delà de la situation politique à la frontière entre le Zimbabwe et l'Afrique du Sud, Deon Meyer aborde aussi ici la situation des boers, ces paysans d'origine hollandaise qui, durant trois siècles, ont façonné le paysage d'une région que leurs ancêtres avaient choisi d'investir. Reste que lorsque Lemmer est du voyage, ça sent souvent la poudre…
La dernière partie de ce récit multiple fait intervenir un autre personnage récurrent de l'œuvre de Deon Meyer, Mat Joubert, qui après une longue carrière dans la police comme flic intègre et rigoureux, s'est résigné à quitter l'institution depuis que les multiples restructurations, les tentatives d'y intégrer la population noire, l'ont rendu complètement inefficace. La mort dans l'âme, Mat Joubert a rejoint un cabinet d'enquêteurs privés qui monnaye ses services au prix fort. Son premier dossier le conduit à rechercher le mari sans histoire d'une jeune femme perdue depuis que ce dernier a disparu. En grattant le passé, Joubert va mettre à jour des liens insoupçonnés qui feront la lumière sur les gangs qui sévissent au Cap.
Un peu plus de sept cents pages, et on ne s'ennuie pas une seconde… Deon Meyer a placé la barre très haut et réussit haut la main son pari. Le portrait entamé dans ses précédents romans — celui de l'Afrique du Sud d'aujourd'hui — prend une dimension nouvelle qui intègre au plus juste tous les environnements : politique, social, écologique. Le point de vue se fait plus précis également en mettant ici en scène uniquement des personnages blancs dans un pays qui a longtemps "refusé" tout métissage. Les afrikaners sont partie intégrante de leur pays — Deon Meyer le montre très bien — tout en constituant un groupe "à part" dans un pays à l'histoire en marche.
À la Trace est un roman foisonnant qui montre une parfaite maîtrise des mécanismes du polar, de ses codes et de la manière de conduire un récit. Les personnages qu'il met en scène ont une vraie épaisseur, un charisme qui les distingue de l'ordinaire. Quant aux sujets abordés, ils sont traités avec intelligence, sans manichéisme, et offre au lecteur de quoi alimenter sa réflexion.
Que demander de plus… à part que ça recommence bientôt.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Lisez tout Deon Meyer !
Les dix premières lignes...
Vendredi 31 juillet 2009
Ismail Mohammed dévale le Heiliger Lane. Les plis de sa galabiyya blanche s'envole à chaque foulée ; le col Mao est ouvert, comme le veut la mode. Terrifié, il agite les bras pour garder son équilibre. Son kufi crocheté tombe de sa tête sur les pavés du carrefour ; il a les yeux rivés sur la ville en contrebas, qui représente une sécurité relative.
Derrière lui, la porte du bâtiment blanc sans étage jouxtant la mosquée de Schotschekloof, dans le Bo-Kaap, s'ouvre violemment. Également vêtus des habits islamiques traditionnels, six hommes se précipitent dans la rue et se tournent instinctivement vers la pente. L'un d'eux, un révolver à la main, vise en hâte Ismail Mohammed, déjà à une soixantaine de mètres (…)
Quatrième de couverture...
Chacun des protagonistes de ce roman aux intrigues apparemment distinctes laisse des traces. Toutes, à un moment donné, vont se croiser.
Milla, mère de famille qui plaque son foyer et rejoint l’Agence de Renseignement Présidentielle au moment où un groupuscule islamiste s’agite de manière préoccupante. L’aventurier Lemmer qui protège le transfert à la frontière du Zimbabwe de deux inestimables rhinos noirs. Lukas Becker, l’archéologue aux prises avec les gangs de la plaine du Cap. L’ex-flic Mat Joubert, devenu détective privé, chargé d’enquêter sur la disparition d’un cadre de l’Atlantic Bus Company.
Comparée à l’univers du polar américain (corruption, drogue, prostitution), la matière romanesque de À la Trace, qui allie « le monde animal, inhérent à notre culture », des contrebandes pittoresques, l’émancipation des femmes, la culture gangsta des villes, frappe par sa richesse et sa diversité.
Deon Meyer est un des rares auteurs qui, tout en maîtrisant avec brio les règles du genre, ouvre grand le champ des problèmes contemporains de son pays.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...