Gallimard / La Noire - Février 1999 - Traduction (anglais) : Elisabeth Guinsbourg
Tags : Espionnage Polar urbain Road Polar Service secret Etats Unis Années 1990 Littéraire Moins de 250 pages
Publié le : 19 septembre 2010
David commence à avoir la cote dans le milieu bohème de Boston. Une réputation d'artiste prometteur, une petite amie chaleureuse et des projets plein la tête. De quoi envisager l'avenir sereinement et pourtant c'est le passé qui le taraude. Une succession de rêves, puis un coup de téléphone réveillent les vieux démons assoupis sous le tapis. Délaissant sa nouvelle vie, au moins pour un temps, il décide de rouvrir la parenthèse, histoire de voir s'il a changé ou si c'est juste le monde qui a changé. Histoire aussi de solder définitivement les comptes.
Nous créons tous, à partir des faits de nos vies, des fictions, des mythes mineurs, des mensonges personnels qui nous permettent de continuer à vivre, qui nous aident à rester humains, nous rassurent en nous faisant croire que nous comprenons notre minuscule fragment du monde.
L'argument de départ semble classique. Toutefois les apparences sont trompeuses.
Il apparaît très rapidement qu'avec La Mort aura tes Yeux, James Sallis jongle avec les clichés du roman d'espionnage. Le gars rangé des voitures, rattrapé par son passé, le culte du secret et de la manipulation inhérent aux officines gouvernementales, la course-poursuite, le sentiment permanent d'être en danger, on trouve tout cela dans son roman.
Mais voilà, ce qui aurait pu déboucher sur un thriller haletant, jalonné de fausses pistes et chausse-trappes, teinté d'une louche de géopolitique, se révèle tout autre. James Sallis fait le choix d'écrire une histoire intimiste au rythme nonchalant. Il sublime le propos du roman d'espionnage pour toucher à quelques chose d'essentiel : l'humain. Ce plus petit dénominateur commun, commun à bon nombre d'intrigues alambiquées et stéréotypées, souvent réduit hélas à la portion congrue.
Dans La Mort aura tes Yeux, l'humain c'est David. Une identité aussi factice que toutes celles qui l'ont précédées, et pourtant une personnalité authentique se cache derrière le masque. Au fil de son errance, il se dévoile, révélant son passé par bribes. Ses états d'âme, les rencontres fortuites ou non qu'il effectue chemin faisant, sont autant d'occasions lui permettant de se livrer à une introspection, d'échafauder une philosophie de vie, de réfléchir sur le sens de l'existence, de se défaire de son passé afin d'envisager calmement l'avenir.
Chaque jour, nous nous reconstruisons à partir de ce que nous pouvons sauvegarder de notre passé.
Monologues intérieurs jalonnés de souvenirs, dialogues avec des inconnus rencontrés en cours de route, James Sallis prend son temps. Pourtant les longues pauses, au volant d'une voiture, dans l'intimité banale d'une chambre de motel, accoudé au comptoir d'un bar, sont autant de moments de tension et d'émotion.
La quatrième de couverture évoque Graham Greene et John Le Carré. Sans doute pour la solitude, un sentiment lancinant tout au long du roman de Sallis. Solitude de l'agent, à la fois chasseur et proie, obéissant petit soldat d'un jeu qui le dépasse, et dont il ne perçoit les enjeux, du moins ceux n'étant pas ouvertement affichés, que de manière fort lointaine. Solitude des petites gens, habitants d'une Amérique laborieuse, rencontrés dans un motel, un restaurant ou croisé au détour d'une autoroute. Une Amérique longtemps étrangère au soldat loyal qui la défendait dans l'ombre. Une Amérique pour laquelle Sallis exprime une forte empathie.
La vie, c'est ce qui vous arrive pendant que vous êtes en train d'attendre qu'il vous arrive d'autres choses. La vie, c'est ce qui jaillit là où vous n'auriez jamais songé à regarder. Entre.
Un dernier mot à propos du titre. Il est extrait du dernier texte du poète italien Cesare Pavese, écrit avant qu'il ne se suicide. Ceci est une belle manière de conclure cette chronique. En poésie, un genre littéraire qu'affectionne tout particulièrement James Sallis.
La mort viendra et elle aura tes yeux -
cette mort qui est notre compagne
du matin jusqu'au soir, sans sommeil,
sourde, comme un vieux remords
ou un vice absurde. Tes yeux
seront une vaine parole,
un cri réprimé, un silence.
Ainsi les vois-tu le matin
quand sur toi seule tu te penches
au miroir. O chère espérance,
ce jour-là nous saurons nous aussi
que tu es la vie et que tu es le néant.
La mort a pour tous un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme cesser un vice,
comme voir resurgir
au miroir un visage défunt,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre muets.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Le reste de la bibliographie de James Sallis évidemment.
Les dix premières lignes...
L'homme ouvrait la bouche, il voulait me demander quelque chose, mais il parlait une langue que je ne connaissais pas. Pas du mandarin, ni du thaï, ni du vietnamien. Des sons indéchiffrables. Le ton de sa voix montait et descendait. Il criait, il réclamait. Je secouais la tête, l'odeur âcre, puante de mon propre corps m'envahissait par vagues, ma langue était si enflée que je ne pouvais pas parler, je ne pouvais pas lui répondre (…)
Quatrième de couverture...
David (c’est du moins sous ce nom qu’on le connaît) était un des maîtres espions de l’Amérique pendant les jours sombres de la guerre froide. Mais ces temps sont loin et, depuis neuf ans, il n’est plus qu’un citoyen ordinaire… jusqu’à ce qu’un coup de fil le réveille au milieu de la nuit. Le seul autre survivant connu des corps d’élite des maîtres espions est devenu dingue. On a besoin de David pour l’arrêter. S’ensuit un gigantesque jeu du chat et de la souris aux quatre coins de l’Amérique.
La Mort aura tes Yeux est un roman passionnant, poignant, un livre magnifique qui traite du métier d’espion à la manière des grands romans de Graham Greene ou John Le Carré, et qui plonge le lecteur au plus profond de l’étrangeté de la condition humaine.
Sa trombine... et sa bio en lien...
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