Noon Moon

Percy Kemp

Seuil Policiers - Février 2010

Tags :  Espionnage Polar politique Complot Service secret Quidam Années 2010 Littéraire Plus de 400 pages

Edition originale

Un avis personnel...

Publié le : 20 juin 2010

Recommandé Zandie est retenu au milieu de nulle part, enchaîné, enlevé par des Arabes. Bientôt, se présente à cet obscur conseiller diplomatique son geôlier, Alik Agaïev, originaire d'Abkhazie, extrêmement cultivé, et qui semble connaître les moindres détails de la vie de son prisonnier.
À l'autre bout du monde, Charlie O'Shea est un agent américain qui fait partie d'une agence anti-terroriste et traque depuis maintenant cinq ans une certain Hamza Belala qu'il est sur le point d'arrêter à Paris pour le rapatrier secrètement aux Etats-Unis. Charlie prend son boulot très à cœur, un peu trop même, au point de faire de cette opération une affaire personnelle. Après le fiasco, la mort d'un agent et la fuite de Belala, Charlie sait qu'il va se retrouver sur la touche…

Ce sont deux histoires parallèles que mène de front Percy Kemp au début de son roman mais celle qui prend le dessus tient à la "rencontre" de Zandie, le prisonnier, et de son curieux tortionnaire, Agaïev, membre d'une Confrérie qu'on pourrait croire construite sur le modèle d'Al Quaida. Bien que les conditions de détention soient très strictes — Zandie est constamment enchaîné — elles tranchent avec le calme, la douceur presque, d'Agaïev qui vient à son prisonnier non pour l'interroger comme on aurait pu le penser, mais plutôt pour l'instruire, ou même seulement lui proposer sa manière de voir les "choses". L'un parle, l'autre écoute. Tous deux, élevés à l'occidentale, connaissent la complexité des rapports qui nouent la région au reste du monde. Agaïev tient de longs discours philosophico-religieux et tente d'expliquer les différences fondamentales qui séparent d'une part les "croyants" — chrétiens, occidentaux — où "croire" implique le doute, quant à l'existence de Dieu, quant à la "vie" après la mort ; et d'autre part les "savants" pour lesquels le doute n'existe pas, les libérant ainsi de l'importance donnée à la mort, donnant des martyrs, des kamikazes, des bombes humaines…

Le texte est particulièrement dense, construit en longs paragraphes sans respiration, ne laissant qu'une portion congrue aux dialogues. Il s'en dégage une vraie connaissance de ce terrain si instable, des intérêts qui s'y jouent, mais aussi une vraie intelligence qui resitue dans un contexte historique global la situation actuelle. Ainsi sont convoqués les Grecs, les Romains, les Troyens, Ulysse, Socrate, et tendues des parallèles osées faisant de l'Angleterre une nouvelle Athènes et des Etats-Unis une nouvelle Rome…
Si le discours, forcément littéraire, est parfois un peu froid, il reste toujours d'une grande intelligence et d'une érudition toujours prompte à souligner le propos.
On est loin des "méchants" et des "gentils", peut-être aussi loin du polar ou du roman d'espionnage (au moins dans les deux premiers tiers du roman), mais plutôt dans un récit qui oublie le manichéisme pour ouvrir d'autres perspectives. Et on en oublie le terrorisme sous-jacent pour se pencher sur le sort des hommes en général, leur éternelle avidité, avec beaucoup de perspicacité et de discernement.
Au fur et à mesure des discours, devant l'intelligence de son orateur, Zandie et Agaiëv vont se rapprocher et tenter de se comprendre mutuellement.

Du côté de Charlie O'Shea, après sa mise à l'écart, on va pénétrer dans les arcanes des services secrets américains et d'une de leurs agences dirigée comme une véritable secte par un certain Markus, le chef de Charlie, surnommé l'Abbé. Agissant en dehors des circuits officiels, cette dernière n'a pour seule vue que la protection des intérêts et de l'influence américains. Ainsi Charlie assiste, sous couvert de lutte contre le terrorisme, à une véritable hécatombe dans les rangs de la fameuse Confrérie, et de ne sont pas seulement des assassins qui meurent, mais aussi des membres de la sphère islamiste, certes radicaux, mais sûrement pas terroriste. C'est la guerre…
D'autant plus que se profilent à l'horizon des élections présidentielles et l'irrésistible ascension d'un jeune sénateur prônant la rupture, et privilégiant, après la politique du "bras long", celle de la "main tendue". Mais peut-être au fond est-ce un peu la même chose…

Les frères ennemis républicains et démocrates différaient dans leur appréciation de la guerre (les premiers y voyant la continuation de la politique par d'autres moyens alors que les seconds envisageaient la politique comme la continuation de la guerre par d'autres moyens), tous s'accordaient à dire que la politique étrangère n'était jamais que la continuation de la politique intérieure par d'autres moyens.

La suite… je ne vous en dirai rien. Sinon peut-être qu'il s'agit d'une incroyable machination, palpitante, et qu'au final, bien sûr, on retrouvera Zandie, Agaiëv et Charlie au même endroit.

Noon Moon est de ces textes qui apportent leurs lettres de noblesse au polar et Percy Kemp (qui écrit en français) un auteur qui sait transmettre sa connaissance et son analyse en toute intelligence. Rendre palpitante les théories de Gramsci sur l'hégémonie culturelle des groupes dominants, ou celle de Latouche à propos de l'économie et de la non-croissance , oser se défendre de l'Obamania, n'est pas donné à tout le monde.
Percy Kemp est de ceux qui peuvent se le permettre.

Dernière chose : si vous avez lu La Route, lisez ce livre. Vous comprendrez ainsi tout ce que n'explique pas Cormac McCarthy dans son roman.


Vous avez aimé...

Quelques pistes à explorer, ou pas...

Percy Kemp n'en est pas à son premier roman. Et la découverte de celui-ci impose presque de se pencher sur ses autres productions.
Notez que lors de sa parution en poche, en août 2011, le roman a été rebaptisé Le Mercredi des Cendres.

Le début...

Les dix premières lignes...

Le cafard avait escaladé la plante de son pied à la faveur de l'obscurité. Juché sur le promontoire que lui offrait son gros orteil, il faisait jouer ses antennes, balayant l'espace, évaluant les dangers. Lorsqu'il dévala l'autre versant et s'engagea sur l'arête du tibia, Zandie releva péniblement la tête, espérant ainsi le garder dans sa ligne de mire. Il le vit s'attarder sur les taches maculant le bas de son pantalon. Quand, de salissures en salissures, l'insecte atteignit son genou, il tenta un mouvement pour l'éjecter d'un coup. Mais les fers qui lui enserraient les chevilles, les arrimant l'une à l'autre et les deux aux barreaux du lit, s'incrustèrent dans ses chairs et c'est à peine s'il réussit, à ce prix, à faire vaciller le cafard sur ses pattes (…)


La fin...

Quatrième de couverture...

Pauvre Charlie ! Le voilà mis à l’écart de la grande traque lancée contre les terroristes. Placardisé par ses supérieurs — lui, l’homme de terrain !
Et pauvre Zandie ! Capturé par les Fous de Dieu, il s’attend à être égorgé d’un jour à l’autre. Et cette fois, personne n’y pourra rien. À moins que…
À moins que les apparences, une fois encore, ne nous jouent des tours. Que le danger ne vienne pas du Vieux de la Montagne et de ses partisans fanatisés, mais de ceux-là mêmes qui ont été chargés de les liquider. Ou de cet étrange maître espion qui cite autant Platon que le Coran, et dont les motivations sont si déroutantes ?


L'auteur(e)...

Sa trombine... et sa bio en lien...

Percy Kemp










Edition(s)...

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Réédition Réédition poche

Du même auteur...

Bibliographie non exhaustive... Seuls sont indiqués ici les ouvrages chroniqués sur le site.

Les Cinq Sœurs