Les Raisons du Doute

Un avis personnel...

Publié le : 24 avril 2010

Alors que son couple traverse une passe difficile — sa femme vient de s'exiler aux Etats-Unis pour plusieurs mois — Guido Guerrieri, avocat à Bari, reçoit un télégramme d'un détenu qui souhaite être défendu par lui lors de son procès en appel. Le nom de Fabio Paolicelli ne lui dit rien mais lorsqu'il le rencontre en prison, Guido reconnaît tout de suite une vieille connaissance — Fabio Ray-Ban — qui le ramène vingt-cinq ans en arrière. À l'époque des années de plomb, Fabio faisait partie de ces groupes fascistes à la morgue arrogante et s'en était pris à lui pour une histoire de parka. Guido n'avait pas cédé, mais il avait dû subir l'humiliation et, jeune adolescent, encaisser les coups…
Sans doute cet épisode n'était-il pas étranger à la détermination qu'on lui reconnaissait dans la conduite de ses affaires, cette manière d'aller jusqu'au bout, et sans doute aussi Fabio Paolicelli avait-il eu vent de cette réputation pour le choisir comme avocat, surtout que pour lui, ce fameux épisode était totalement absent de sa mémoire.
Fabio est pris dans une histoire de trafic de drogue et a déjà écopé d'une peine de seize années de prison en première instance. Il nie cependant les faits, répétant que les quarante kilos de cocaïne trouvés dans son véhicule y ont été glissés à son insu lors de son voyage au Montenegro en compagnie de sa femme. Pour se disculper, il raconte à Guido l'arrivée inopinée d'un avocat après son arrestation, prenant gracieusement en charge sa défense mais proférant des menaces dès que Fabio montra quelques velléités d'explication…

Guido hésite à prendre cette affaire. Lui, l'avocat connu pour ne rien lâcher, s'interroge sur sa capacité à défendre efficacement un homme qu'il souhaite ardemment voir coupable et préférerait voir puni. C'est au final la femme de Fabio, Natsu Kawabata, magnifique ex-mannequin, qui le convainc d'accepter. Pas forcément pour l'éthique…

Vous avez apprécié les histoires d'avocat de William Lashner, vous vous régalerez à suivre cette fois un de ses confrères italiens, Guido Guerrieri. Comme Victor Carl, ce dernier se fait personnage récurrent de l'œuvre "policière" de son créateur, Gianrico Carofiglio, qui a lui-même été longtemps juge anti-mafia en Italie.
Plus que l'intrigue, c'est donc d'entrée la qualité du personnage de Guido qui emporte l'adhésion ; ses interrogations toujours justes sur son métier, ses capacités ; mais aussi l'humanité qui s'en dégage, ses réflexions sur le monde qui l'entoure — qui s'exprime souvent en une sorte de "voix off" teintée d'humour — sa solitude en filigrane… En un mot : attachant.
Une fois que Guido nous a mis dans sa poche, que l'on compatit à son attirance pour la femme de son client, à cette peut-être vengeance qu'il réserve à Fabio, vient alors le temps de l'intrigue, de l'éclairage porté par l'auteur sur cette région des Pouilles et la ville de Bari, sa situation géographique particulière face au Montenegro, à la Croatie et à l'Albanie, face aux trafics en tous genres, face à la Mafia.
Il semble bien que l'arnaque dont se dit victime Paolicelli soit crédible… et il faudra beaucoup de ténacité à Guido pour démêler l'écheveau qui se présente à lui et résister aux tentations perverses.

La plume de Gianrico Carofiglio glisse tout en douceur sur le papier et, sans être un grand spécialiste, il me semble qu'il faille ici souligner le travail de traductrice de Nathalie Bauer qui réussit à la rendre palpable. Guido n'est qu'un homme, bardé de doute, malheureux en amour, mais que l'intelligence tient debout. Le regard distancié qu'il porte sur lui-même et sur la vie en est une preuve évidente. Ce qui ne l'empêche pas de venir à bout d'une intrigue particulièrement solide.

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Quelques pistes à explorer, ou pas...

Il y a un lien de parenté à faire entre Gianrico Carofiglio et William Lashner, pratiquant tous deux à merveille l'art du polar juridique.
À propos du métier de juge, on pourra se rapprocher du roman de André Fortin, Un Été Grec, qui s'interroge sur la fonction.